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19-05-2009

Le Diable est dans les détails… Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail

Ecrit par Liesel Schiffer, historienne, le 14-11-2008

Pages vues : 577

Publié dans : Contributions,


obama_new_yorker.jpgHuit jours après l?élection de Barack Obama comme futur président des Etats-Unis d?Amérique, André Glucksmann publie, dans le Figaro (*), un article intitulé ? ? dans lequel il analyse l?enthousiasme quasi général des Européens à l?égard de l?ex-candidat démocrate et s?inquiète de ce ?rêve européen? qui ?adoube un homme providentiel? risquant de décevoir. L?essayiste s?alarme ainsi  : ?Les opinions européennes, droite et gauche confondues, s'abandonnent à une vision postmoderne de l'histoire et démissionnent, comme s'il appartenait aux Américains et désormais à Obama seul de régir à notre place la gouvernance planétaire.? Ce n?est pas le fond de cette réflexion qui me choque, pertinente peut-être, légitime sûrement dans le droit d?un citoyen, intellectuel de surcroît, à commenter l?actualité du monde, mais la façon dont le polémiste présente le nouvel élu américain. Glucksmann écrit : ?L?élection de Barack Hussein Obama n?est pas seulement un événement objectif, c?est un avènement subjectif.? L?utilisation du second prénom d?Obama, celui qui rappelle la religion musulmane de son père, m?a sauté aux yeux à la lecture de l?article, me paraissant, elle aussi, subjective.
 
Certes, on appelle parfois Georges W. Bush (souvent pour s?en moquer, en France, d?ailleurs !) l?encore actuel président, mais je ne crois pas avoir vu sous la plume d?André Glucksman ?William Jefferson Bill Clinton? pour  Bill Clinton, ?Ronald Wilson Reagan?, pour Ronald Reagan ni ?James Earl Carter? pour Jimmy Carter ? Cette référence inappropriée à l?islam a une lourde connotation dans le contexte d?un pays qui a subi le choc du terrorisme du 11 septembre 2001. Elle paraît particulièrement malvenue quand on songe à toutes les attaques auxquelles Obama a dû faire face de la part de ses adversaires les plus radicaux, xénophobes et intolérants. On se souvient comment le candidat démocrate fut stigmatisé comme une sorte de ?taupe islamiste? au sujet de ses prétendues ?convictions musulmanes?. Et ces attaques suspicieuses, Barack Obama en a été la victime (en plus du racisme ?traditionnel? lié à la couleur de sa peau) sur la seule appartenance religieuse de son père qui, pourtant, n?est pas la sienne. Obama s?en explique très clairement avec l?évocation de ses convictions chrétiennes dans ses deux ouvrages : ?Les Rêves de mon père? et ?l?Audace d?espérer?, parus en France aux Presses de la Cité. Mais tel n?est d?ailleurs pas le propos, et Barack Obama aurait pu tout aussi bien pratiquer la religion musulmane sans être pour cela un terroriste pro-Ben Laden. J?ose espérer qu?André Glucksman n?en doute pas, ce n?est peut-être pas le cas de tous ceux qui ont lu et liront son article.
 
Etrange, non, d?écrire ?Barack Hussein Obama? aujourd?hui, dans une France en pleine mutation sociale, avec la crise économique qui monte les gens les uns contre les autres et plus encore s?ils viennent, eux-mêmes ou leurs ancêtres, d?ailleurs ? Cette France secouée de polémiques et d?angoisses, entre peur de l?immigration, peur de l?Autre en général, montée des religions et des intégrismes, stigmatisation systématique des étrangers par le gouvernement français lui-même, soutenu par une partie des électeurs qui l?a porté au pouvoir. Cela notamment à travers la délinquance, y compris celle qui consiste seulement à n?avoir pas les ?bons? papiers d?identité.
J?imagine immédiatement l?interprétation malveillante et évidemment fausse que l?on pourrait m?opposer, en me rétorquant qu?il est bizarre de s?offusquer de la ?simple? mention d?un prénom qui se contente d?indiquer l?origine paternelle d?Obama. André Glucksmann désignant les USA comme ?capitale de la mondialisation?, la mention du second prénom d?Obama pourrait n?être qu?une simple manière d?accréditer ce multiculturalisme assumé des Américains? Y aurait-il donc une honte à avoir une partie de sa famille musulmane ? Ne serait-ce pas moi la raciste ou la xénophobe qui n?aimerait pas voir rappeler un élément ?désagréable? dans le CV d?un ?candidat idéal? ? Facile ! Non, bien sûr, ce n?est pas la religion musulmane du père d?Obama qui me gêne, mais l?utilisation qu?on en fait dans un contexte ?sensible?. Cette précision insolite (?) de Glucksman dans son papier me fait songer à toutes les appellations faussement innocentes qui ne cherchent qu?à stigmatiser les gens pour ce qu?ils sont et non pour ce qu?ils pensent, disent ou font. Quand, par exemple, des antisémites précisent ?né Maurice Benguigui? pour évoquer le chanteur et acteur Patrick Bruel, quand des xénophobes disent ?Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa? afin d?insister sur les origines étrangères de Nicolas Sarkozy, quand par ostracisme social on rebaptise Philippe de Villiers ?le vicomte?, ou Dominique de Villepin, ?Galouzeau de Villepin?, sous-entendant par-là que des origines sociales entraînent fatalement l?adhésion à des convictions politiques particulières?

Il n?y a certes aucune honte à avoir un père musulman ou étranger, à porter un titre ou une particule. Il est d?autant plus difficile pour des individus marqués de ces ?particularités? d?en venir à devoir se ?défendre? d?être ce qu?ils sont du simple fait de leur naissance. Il faudrait d?ailleurs définir la notion de particularité : elle varie en fonction du lieu et de la situation où l?on se trouve. Chacun peut, à tout moment, être stigmatisé en tant qu??autre?, en tant que ?différent?, avec ou sans malveillance, à partir du moment où il est minoritaire dans un groupe majoritaire. Les hommes ne doivent être jugés que sur leurs idées et leurs actes.
Qu?André Glucksmann, un philosophe, donc plus qu?aucun autre un homme qui se doit de penser avant d?écrire, André Glucksmann, qui par ailleurs a su défendre avec ferveur des causes justes et nobles comme celle des Tchétchènes face au pouvoir russe ou du génocide des Tutsis du Rwanda, s?abaisse à cette manipulation du langage dangereuse et pleine d?ambiguïté, m?étonne et m?attriste.


(*) ?Obamania et renoncement de l?opinion européenne? par André Glucksmann, à la rubrique ?Débat? du Figaro du 11 novembre 2008

Dernière mise à jour : 14-11-2008

   
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