Quand on dit ?Vichy?, ça vous fait penser à quoi ? A une eau de source ? A une cure thermale ? A un week-end spa dans un lieu de verdure et de kiosques à musique à l?ancienne ? A une boîte de pastilles rafraîchissantes et digestives ? Oui, certes, mais encore ?...
Bien sûr, le simple nom de Vichy évoque aussi des choses beaucoup plus sombres. On pense tout de suite au Régime de Vichy : l?Etat français du maréchal Pétain, l?abrogation de la Constitution de 1875 qui met fin à la IIIème République, l?hôtel du Parc, Henriot, Marion, la Révolution nationale, ?Travail, famille, patrie? remplaçant la devise républicaine de ?Liberté, Egalité, Fraternité?, le recul de la laïcité, de la liberté de penser, mais surtout, dans le cas qui nous intéresse ici, les fameuses lois de Vichy contre les Juifs et les étrangers. Et qu?annonce la presse pour les 3 et 4 novembre prochains, à Vichy, justement ?

La réunion des 27 ministres de l?Union européenne sur le thème de ?l?Intégration?, sous la houlette de Brice Hortefeux, le ministre français de l?Immigration, de l?Intégration, de l?Identité nationale et du Développement solidaire. Rien que cet interminable intitulé évoque un singulier choc de notions, à la fois proches et contradictoires, qui peuvent vouloir dire une chose et son contraire, au gré des volontés et projets gouvernementaux. Projets qui, sous couvert ?d?immigration choisie, immigration de travail et non plus seulement de regroupement familial?, vont, de toute manière, toujours dans le sens d?un ralentissement de l?immigration jusqu?à son hypothétique cessation. On va donc débattre, lors de ce sommet, de la ?maîtrise des flux de populations?, c?est-à-dire du rejet officiel, hors de frontières où ils sont considérés comme délinquants par le seul fait de leur nationalité, d?êtres humains ?indésirables?. Sujet sensible s?il en est, dans ce ?lieu de mémoire?-là, particulièrement?

Mais établir une telle comparaison entre le gouvernement actuel et ce passé fâcheux tout plein de xénophobie, de racisme et d?antisémitisme, ces réunions d?un gouvernement français très particulier d?autrefois qui fut une des hontes de notre histoire nationale, y songer même, ne pourrait donc venir que d?un opposant? Un vil gauchiste toujours prêt à établir des amalgames, à crier au fascisme, au nazisme dès qu?il n?est pas d?accord avec le pouvoir en place, à ses yeux trop ?droitier? ? Il faudrait être bien manipulateur et malhonnête pour comparer ce qui, bien évidemment, est incomparable (*). Pas du tout, il ne s?agit pas d?un opposant exalté, c?est notre ministre de l?Immigration, de l?Intégration, de l?Identité nationale et du Développement solidaire, Brice Hortefeux lui-même qui, à l?origine du choix de la ville, laisse le maire de ladite cité s?en flatter dans les ?Confidentiels du Figaro?, le 9 juin dernier : ?Le ministre de l'Immigration, Brice Hortefeux, a finalement décidé de vaincre les réticences en décidant d'organiser l'un des sommets des 27 pays européens dans sa région d'Auvergne, précisément à Vichy. La réunion consacrée aux politiques d'intégration européenne se tiendra  les 3 et 4 novembre dans la station  thermale de l'Allier pour le plus grand plaisir de son maire, Claude Malhuret. «Soixante ans après, Vichy  n'est plus ostracisée», se félicite-t-il. C'est la première fois, depuis la Libération, qu'une réunion gouvernementale se réunira à  Vichy.? Brice Hortefeux a vaincu les réticences, parce qu?il y avait donc des réticences au sein du gouvernement à mener à bien cet étonnant projet ? Ouf ! je respire et songe aussi aux habitants de Vichy qui, contrairement à leur édile, sont sans doute les premiers touchés par ce regrettable rappel d?un passé douloureux.

Je reprends les lignes de Brice Hortefeux dans ?Libération? du 27 juillet 2007 dans lesquelles il définissait sa vision de l?identité nationale : ?Pourtant, quel que soit notre parcours, nos habitudes et nos aspirations, nous appartenons à une communauté de destin. La définir, c?est lui donner un sens?. Plus loin, parlant des immigrés : ?(?) nous adresserons un message à ceux qui, parmi eux, veulent devenir français comme à ceux qui le sont déjà : celui du projet plus que celui de l?héritage.? C?est justement parce que je partage cette vision d?appartenance à une communauté de destin et qu?il me semble que les immigrés qui sont déjà sur le territoire français ou qui s?y emploient, sont bien dans la concrétisation ou la mise en marche du projet de s?installer en France et peut-être, de devenir français, et au nom de cette histoire commune réalisée ou en devenir entre eux et nous, que je trouve détestable et significatif, d?avoir choisi Vichy pour traiter du sort des étrangers ?illégaux? sur le territoire français. Significatif puisque le maire le souligne et que le ministre dit s?être heurté à des réticences. Tout fait sens, en effet, y compris un choix contemporain puisé dans l?histoire ancienne. J?assume, en tant que Française, l?héritage de toute l?histoire nationale, y compris dans ce qu?il a eu de déplorable mais je m?afflige que cet épisode honteux soit mis en valeur, et de cette manière ambiguë. Le territoire français dispose de suffisamment de villes aux infrastructures adéquates pour ne pas avoir à faire ce choix malencontreux aux si sombres résonances. L?actuel gouvernement de la France, qui semble très soucieux des symboles historiques (comme lors de ?l?affaire? Guy Môquet) donne donc ici une bien mauvaise image de sa politique et s?appuie sur un héritage bien sinistre au regard des Français eux-mêmes, de nos partenaires européens et des immigrés, illégaux ou pas, de l?humanité toute entière. Rappelons aussi que la France est régie par le droit du sol, et non du sang, et c?est donc l?adhésion à une idée démocratique et à une société où les modes de vie, divers, sont fondés sur les mêmes convictions, qui fait l?appartenance à la nation française. Si devenir français, comme le dit Brice Hortefeux, est plus un projet qu?un héritage, cessons d?agiter les pires aspects de notre histoire, toujours susceptibles de séduire les plus faibles en temps de crise. Et aussi cessons de briser les vies, de jeter dans la détresse des gens pleins de courage, venus s?installer chez nous pour y trouver une destinée meilleure, ce à quoi aspirent et ont droit d?aspirer tous les êtres humains.


 (*) Comparer la Shoah avec les politiques hostiles aux immigrés et la fermeture des frontières que développent, depuis quelque temps, les pays du monde entier, et l?Europe et l?Amérique en particulier, me semblerait évidemment mensonger autant que choquant. Certes, heureusement, aucun gouvernant ne songe à envoyer les immigrés illégaux dans des camps d?extermination, mais le fait de criminaliser leur démarche, de les enfermer dans des centres de rétention dans des conditions que l?on sait détestables, pour des séjours de plus en plus longs, me paraît déjà marquer officiellement une inquiétante dérive morale.

 

Site de Liesel Schiffer