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12-11-2008

De la dépression active Convertir en PDF Version imprimable

Ecrit par Jean Michel Couvreur, Philosophe, le 01-11-2008

Pages vues : 91

Publié dans : Contributions,


revolution-full01.jpgA côté du dynamisme commercial avec lequel nos vendeurs d?Etat bradent les intérêts généraux, il est temps, peut-être, de susciter de nouvelles humeurs collectives et, à l?intérieur du climat dépressif qui plombe une quantité croissante d?individus, d?allumer un beau foyer d?idées mortes. En vérité, ces idées-là ne le sont pas, mortes mais ce sont les morts-vivants qui nous tiennent lieu de gouvernants qui s?acharnent à le faire croire. Eux ont la pensée en cendres, depuis trop longtemps campés dans la volonté canine de ne pas lâcher un seul morceau d?un monde fait à leur convenance.
Aussi clament-ils que l?avenir c?est le marché, que la liberté c?est celle de travailler davantage, que la justice c?est d?aligner la masse sur les plus faibles tandis que les plus forts continuent d?accroître leur quantité de puissance, que la fraternité c?est d?expulser les damnés de la terre qui tentent chez nous de bricoler un présent meilleur et que l?éducation c?est d?endoctriner davantage nos enfants à la société du « C?est mon choix ». Il devient difficile pour les peuples nouveaux martyrisés de rhétorique de fabriquer de la résistance. La conscience s?obscurcit, se perd dans la complexité des arguties développées par la plupart des dirigeants nationaux et internationaux. On dirait que les peuples eux aussi ne savent plus penser, désorientés qu?ils sont par les décoctions intellicides d?une armée déployée de sophistes. Là-dessus soufflent les grands vents capricieux des médias, entretenant jusqu?à la transe les flux émotionnels et contribuant, avec le clin d??il des pouvoirs, à instaurer un état panique. Dans ces conditions, où est passé le rythme lent de l?analyse et la recherche assidue des causes ? On essaie de noyer le désir légitime et profond de comprendre, les interrogations sur la justice, la distribution des travaux et des ressources dans des réponses d?une rationalité technique qui se coupe de toute raison pratique, c?est-à-dire morale. C?est ainsi qu?on fait progressivement des peuples les orphelins du monde.

Ce n?est pas en lisant les explications embrouillées des journalistes que l?on peut mieux comprendre la « crise » qui nous accable aujourd?hui, ce n?est pas en écoutant les hommes politiques de tous les pays que l?on peut saisir véritablement les ressorts de la situation actuelle, qu?elle soit mondiale ou locale. C?est en s?imprégnant d?un texte du Vème siècle avant Jésus-Christ, célèbre toutefois, puisqu?il s?agit de « l?Allégorie de la caverne » exposée par Platon dans le livre VII de sa République. Lui aussi en son temps était un déçu, lui aussi désespérait de la politique telle qu?elle était pratiquée, qui faisait qu?une démocratie (Athènes) pouvait condamner à mort en la personne de Socrate l?un des plus justes et avisés de ses citoyens. C?est pourquoi on peut voir dans son retrait en philosophie comme une manière de se désactiver du politique mais dans un sens qu?il faut préciser. Car il ne s?agit en aucun cas d?une résignation. Platon avait simplement compris qu?on ne pouvait réformer une société qu?en agissant sur sa manière de voir et qu?il fallait donc s?attaquer à la constitution du jugement en chacun de nous, en faisant en sorte de le délivrer de ses ornières par une éducation appropriée à la raison. L?éducation n?est donc rien d?autre que la continuation de la politique par d?autres moyens. Ce n?est pas en changeant les hommes politiques qu?on changera de vision du monde mais en réformant les esprits de façon à en faire, dans la Cité, des citoyens indociles et éclairés, seuls à même, en démocratie véritable, de peser efficacement sur les décisions communes. Platon le désenchanté de la politique réelle misait donc sur un travail de fond visant à réaccorder les hommes avec eux-mêmes. Seulement, une telle politique de l?éducation passe par des volontés qui peuvent avoir tout intérêt à ne pas la mettre en ?uvre. Il est plus avantageux d?entretenir la peur de masse pour que celle-ci se blottisse dans des bras sécuritaires que de pousser la conscience collective à se penser elle-même. L?époque est frileuse, si bien que l?heure n?est pas de réfléchir plus pour résister plus mais bien plutôt de travailler plus pour endormir plus. Telles sont les consignes sociales d?aujourd?hui, malgré quelques démentis seulement chiffrés qui assurent que l?éducation demeure une priorité. Quand les réformes avancent à la façon d?un bouclier derrière lequel se cachent des instigateurs brouillons, quand ce qui s?échappe des mesures pressenties ou annoncées, c?est, pour parler du seul lycée, la semestrialisation des contenus, laissés aux désirs spontanés des élèves, l?optionnalisation de l?histoire à partir de la première, la détermination envisagée de son programme par le Parlement et non par des historiens, la suppression de l?enseignement des Sciences Economiques et Sociales, suspectées d?être trop marxisantes, quand tout cet attelage est mené au pas de course de façon à nourrir l?ambition d?un ministre fier d?être celui qui n?aura pas cédé « une fois de plus » et qui se réjouit du « bordel indescriptible » qu?il aura « mis dans le système », il y a de quoi nourrir des réserves et des inquiétudes? Quand notre Narkozy National, grand Endormisseur de foules (qui risque illico de me faire un procès pour outrage, en se réfugiant derrière la robe de Monsieur le Juge, à la manière des cafteurs qu?on aimait tant dans l?enfance?), assure d?un air pénétré, comme il l?a fait dernièrement à Argonay, en Haute-Savoie, après la manifestation des enseignants du 19 octobre dernier, qu?il a « grand respect pour la démocratie » et « le droit de manifester », mais que, quand il entend « les slogans de manifestations de ces derniers jours d'une petite partie de la Fonction publique d'Etat, (il se) demande s'ils se rendent compte de la gravité de la crise? », on reste coi d?admiration pour le comédien! Et d?ajouter aussitôt: « Que des gens viennent de bonne foi me demander en réponse à la crise d'embaucher davantage de fonctionnaires et davantage d'emplois publics, je me demande s'ils ont bien compris dans quel monde nous vivons ». Voilà, il faut le dire, une grande leçon de démocratie ! Aussi, quand certains se sont demandé, juste après cette prestation, si, lorsqu?il a fait un chèque de 233 000 euros à 617 foyers en 2007, au nom du bouclier fiscal, M. Sarkozy avait conscience de la gravité de la crise, il faut n?y voir sans doute que la marque de mauvais esprits?

Ne croyons surtout pas que nous nous sommes éloignés de la Caverne platonicienne. A vrai dire, nous n?en sommes pas sortis ! Il y a quelque chose de foudroyant à se dire que nous sommes prisonniers d?un texte qui a tout dit de nous mais que nous peinons à entendre ce qu?il tient tant à nous faire voir. Nous télécommuniquons avec lui, il nous est envoyé comme le signal lumineux d?une génération étoilée, il arrive toujours au milieu de nous avec sa charge déflagratrice, nourrissant au fil des siècles une sorte d?étonnement sacré et puis, comme de la poudre mouillée, la puissance de ce colis disparaît, on n?en parle plus, les hommes un moment éblouis par son éclat retournent dans cette même caverne de tous les temps et finissent par s?endormir, bercés par les mêmes sophistes qui ont su adapter la forme de leur discours à une nouvelle tonalité du monde. Désormais, les nouveaux sophistes s?appellent « communiquants » et ils ont à leur disposition des micros et des lucarnes colorées qui leur donnent le don d?ubiquité. Mais, pas plus que les anciens, ils ne recherchent une quelconque vérité commune ; ils la dénient et ils ne la souhaitent même pas. C?est pourquoi seule compte l?efficacité, du discours comme de l?action. Il faut que ça marche, que les réformes avancent, que l?on travaille « librement » le dimanche, que des armées de travailleurs soient levées jusqu?au soleil couchant de la retraite qui ne se couchera pas ou bien vous serez déjà morts, il faut que les sans-papiers soient « éloignés », que les immigrés connaissent le français avant d?arriver en France, que les siffleurs de Marseillaise soient punis, tout comme les mauvais citoyens qui n?ont pas leur titre de transport, tout comme ceux qui fument sur un quai de gare, tout comme la racaille qui reste dans la glandouille au lieu d?être la France qui se lève tôt, tout comme ceux qui font des émeutes et brûlent des voitures, il faut les poursuivre et les punir tous, il faut que justice pénale soit faite et tant pis pour la justice sociale, on verra plus tard, si on y pense, pour l?instant ce qui compte c?est d?avancer, de rattraper le retard, de s?adapter aux autres pays européens, d?être une Europe forte mais sans la Turquie, parce que, vous comprenez, la Chine est là et le soleil ne l?attend pas et tout cela et tout cela, toutes ces mesures sont prises, Mesdames-Messieurs, dans votre intérêt et pour des raisons de Sécurité ! Car il faut que vous ayez absolument PEUR des SDF qui viennent dépareiller et empuantir vos jolis centres-villes, des Gitans qui veulent vous voler, des Africains qui veulent vous prendre votre travail, vos HLM, vos allocations familiales et même vos femmes, des Chinois très travailleurs, qui sont entre eux et très nombreux et sans pitié et qu?on ne comprend pas quand ils parlent, des jeunes de banlieues qui sont tous très violents et drogués avec des cagoules et du rap, des terroristes qui peuvent sortir à tout moment d?un colis piégé, circulez messieurs-dames, ne restez pas là pour votre sécurité, et enfin de la Crise qui est le dragon des temps modernes, cracheur d?un feu qui vous laisse sans voix et sans courage, exploité ou sans travail, appauvri ou expulsable? C?est pourquoi, vous en conviendrez, il faut plus de contrôleurs en embuscades dans les métros, plus de rafles de sans-papiers, plus de policiers dans les banlieues, plus de centres de rétention, plus de prisons, etc.

Quelle différence, dites-moi, avec ces prisonniers qui regardent passer devant leurs yeux et leur existence le défilé des ombres et qui prennent celles-ci pour la seule version à voir et à boire du réel ? Ne savons-nous pas, au fond de nous, au très profond de nous, que la vie est ailleurs, plus haut, plus belle, plus juste, moins indigente, moins sordide et que cela dépend de nous, de nous tous ? A l?heure où l?on sollicite sans cesse l?opinion, où, par les sondages, les médias, on la pousse à devenir encore plus ce qu?elle est, c?est-à-dire à oublier qu?elle peut se mettre à sortir d?elle-même, à penser, à réfléchir, n?y a-t-il pas urgence à ouvrir les yeux, à comprendre que la multitude des réalités qui nous enveloppent ne sont que reflets, apparences, appareils, apparats, qu?il y a derrière un faisceau plus restreint de causes motrices détenues par des hommes de mauvaise volonté, qui ne savent pas ce qu?ils font, même s?ils prétendent tout le contraire (les Bush, les Poutine, les Berlusconi, les Sharon, pour n?en prendre nommément que quelques-uns, mais il y en a bien d?autres, moins connus, plus disséminés, dans le travail, par exemple, lieu de souffrance où pullulent les oppressions les micro-tyrannies)? Tant que nous ne prendrons pas conscience de notre force, tant que nous ne nous réapproprierons pas notre intelligence, nous serons comme des mendiants, mangeant au creux de mains baguées, sous le regard d?hommes drapés de condescendance et de filouterie cauteleuse. Quand je dis « nous », j?envisage le maximum d?êtres pourvus de lucidité et de conscience morale, en mesure de comprendre où se situe le véritable intérêt d?une société rationnelle.

C?est pourquoi, même si beaucoup sont lassés et se contentent de survivre dans un réel dont les lois cachent l?absence de lois, même si l?impression gagne souvent que les jeux sont déjà faits, il est possible de pratiquer à tout le moins une sorte de « dépression active », un peu comme nous avons inventé le monstre sémantique de « discrimination positive ». C?est-à-dire une attitude qui consiste avant tout à ne pas renoncer et à ne pas accepter. Il y a toujours en chacun une dignité qui nous fait nous regarder ou non en face dans un miroir et qui est capable à elle seule de mesurer la légitimité ou l?illégitimité de tout pouvoir. Or il y a des actes indignes, des mesures indignes, des décisions indignes qui déterminent la conduite et le destin d?un grand nombre d?hommes, qui infléchissent la réalité dans un sens absolument réversible, à condition de le croire et de mobiliser des forces historiques, ainsi que les mots d?une intelligence nouvelle. La possibilité de contrer le front de l?arrogance qui un peu partout agit et pense à notre place est limitée sans doute car l?organisation qui se répand sur toute la planète a fini par tisser par le haut le filet d?une interdépendance de tous avec tous dont il paraît bien difficile de sortir sans s?exposer à de graves dommages, un peu comme quitter la société reviendrait pour l?individu à être soumis au joug implacable de la nécessité. Sauf que le système mondialisé mis en place, ce réseau techno-économique avide et performant, est lui-même frappé dans sa propagation par un mal qui le voue à la mort rapprochée, puisque les réserves de survie terrestres sont peu assorties à l?élan démographique et que l?exhortation à la croissance pour sortir de la crise est, les générations futures s?en apercevront si elles sont encore là pour apprécier notre degré de solidarité, une invitation concertée à la débâcle. A croire que nos responsables politiques, menés il se peut par de hauts intérêts plus occultes, sont atteints du syndrome de Ponce-Pilate ! Il reste que des chemins de résistance sont à inventer, à mettre au point, utilisant des moyens non traditionnels car ceux-ci, détournés et confisqués comme le vote, ne servent le plus souvent qu?à reconduire l?état alarmant des choses à l?intérieur d?un cadre sans alternative. Internet, son instantanéité, sa capacité mobilisatrice à grande diffusion est peut-être aujourd?hui la formule technique la plus adaptée à l?action récalcitrante. Mais les réflexes ne sont pas encore, loin s?en faut, acquis dans toutes les têtes, les vieilles habitudes dominent et l?on croit encore difficilement au pouvoir d?emprise de ce nouveau média. Qu?importe, le temps presse, il faut savoir être révolutionnaire, aujourd?hui plus que jamais, non par idéalisme mais par réalisme de profondeur, sachant que les autres issues sont de toute façon condamnées.

Dernière mise à jour : 01-11-2008

   
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