Ecrit par Karim Amellal, le 17-10-2008
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Publié dans : Chroniques,
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Bien sûr, il faut maintenant que les matches de foot, en fonction de la couleur de l'équipe adverse, se jouent sur des territoires spécifiques, que les équipes maghrébines, ou africaines, aillent jouer ailleurs, en province, ou pourquoi pas "chez eux", à l'étranger, mais sûrement pas à Paris, encore moins en banlieue. Confer Bernard Laporte, inénarrable secrétaire d'Etat aux sports, et personnage exempt de tout reproche lui aussi, chevalier blanc, à peine terni par quelques sordides affaires de corruption qui ont - mais ce ne fut pas le cas, dieu merci - failli l'empêcher d'être ministre.
De quoi l'a-t-on accusé ? De broutilles. De faits divers. De chantage. D'escroquerie dans une affaire de casino. De favoritisme. Et puis d' "irrégularités fiscales" aussi. Des broutilles. Pas de quoi fouetter un chat. Surtout pas de quoi le faire renoncer, en son âme et conscience, il est presque ministre après tout, à décerner des brevets de citoyenneté, à s'énerver contre ceux qui sifflent un symbole, l'hymne national, dans les stades. Non, Bernard Laporte est un citoyen sans reproche, un preux chevalier, blanc, tout blanc, un serviteur du peuple qui ferraille contre les contempteurs du drapeau et de l'hymne : ces gosses des cités, les vauriens, les racailles, qui dénigrent la République. Accessoirement, l'Etat, par l'entremise des services fiscaux, a déposé plainte contre lui, pour violation du secret fiscal. Mais ça ne compte pas.
A sa décharge, il n'y a pas que lui. Et je m'empresse de préciser, car on ne manquerait pas de me dire que je défends les siffleurs, moi aussi, et que je porte atteinte au drapeau, que je trouve ça ridicule de siffler la Marseillaise. Non que je trouve cet hymne beau ou noble, je n'oublie pas le "sang impur" censé représenter une France éternelle qui n'est pas, loin s'en faut, celle à laquelle j'aspire. Mais enfin. On ne siffle pas son équipe nationale, quelque en soit le prétexte. Et surtout pas cette équipe-là, l'équipe de France, qu'on ne peut pas taxer de racisme, de bafouer la diversité ou d'autres saloperies. Sauf peut-être de perdre, parfois... ! Car il s'agit après tout d'une règle de bon sens : on ne s'insulte pas. On ne crache pas sur son reflet, même décati, quand on se scrute le matin au-dessus du lavabo. Alors oui, tous ont réagi, fermement réagi, oh oui ! Ecoutons-les. "Le match doit être arrêté et des sanctions prises" (Coppé), "c'est insultant, pas tolérable" (Fillon), "il faut expulser" (Ségolène), "certains symboles ne s'insultent pas" (Hortefeux), "il faut une sanction" (Julien Dray), "le niveau le plus élevé de la bêtise" (Fadela Amara), etc, etc.
Passons sur cette dernière déclaration absurde d'une personnalité outrancière, dont le moins que l'on puisse dire est que le fameux « plan anti-glandouille » n'a manifestement pas produit les effets escomptés... Non, le problème, notre souffrance, sont ailleurs. Encore une fois, et comme pour le match France-Algérie d'octobre 2001 lorsque le stade fut envahit par une foule de supporters, les commentaires indignés ne se focalisent que sur l'événement lui-même, non sur ses causes. Dès lors, il devient impossible de conduire une analyse raisonnée sur un problème grave d'identification d'une partie de la population aux symboles théoriques de l'appartenance nationale. Dès lors, la lancinante et essentielle question « qu'est-ce qu'être Français ? » disparaît derrière le voile scandaleux des réactions à chaud, ou à vif.
Mais une fois encore, et une fois passée cette réaction épidermique et la condamnation unanime de l'outrage au drapeau, il nous faudra revenir sur les motifs d'une discorde, sur les raisons objectives qui conduisent des citoyens français, souvent depuis plusieurs générations, à refuser en bloc de s'identifier à la République lorsqu'elle est confrontée, dans le stade ou ailleurs, à d'autres vecteurs d'identification. Et comme le remarque avec pertinence l'éditorial du Monde du 16 octobre, alors peut-être deviendra-t-il indigne « des principaux responsables publics d'ignorer ce que ces sifflets expriment, qu'ils le veuillent ou non : la rage des banlieues, le sentiment de rejet et le désarroi des jeunes issus de l'immigration ».
Les causes importent plus que les effets, aussi dévastateurs, brutaux et choquants soient-ils. Mais dans notre démocratie d'opinion où les électeurs sont à caresser dans le sens du poil, il est très facile, pour faire remonter à la surface de vieilles angoisses, de se concentrer sur un phénomène en omettant ses ressorts. La Marseillaise huée, cela renvoie pourtant qu'on le veuille ou non à l'un des visages du mal français : la désintégration sociale de catégories bien identifiées de la population, leur enclavement croissant sur des territoires en relégation, leur enfermement dans des bulles où la haine, la rage et le désespoir entremêlés sont les seules nourritures terrestres.
On peut être scandalisé, légitimement, par une Marseillaise huée dans un stade de foot. On ne peut en revanche, a fortiori quand on est un responsable politique, se contenter de crier au loup. Il faut être sérieux et proposer des solutions sérieuses. Déplacer les matches « touchy » en province ? Interdire certains jeunes d'y participer ? Arrêter et condamner les siffleurs ? Ok, ça soulage deux minutes. Mais les mêmes causes, elles, continueront de produire les mêmes effets... De 2001 à 2008, cela ne s'est pas démenti.
Collectif "Qui Fait La France ?"
Dernière mise à jour : 18-10-2008
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